Rencontre avec la mezzo-soprano Camille Bordet dans le cadre du concert du bout de l’an


RENCONTRE AVEC LA MEZZO-SOPRANO CAMILLE BORDET DANS LE CADRE DU CONCERT DU BOUT DE L’AN – MARDI 28 DÉCEMBRE À 18H EN L’ESPACE SIMIANE DE LA MAIRIE :

Bonjour Camille et merci de nous avoir accordé cette interview ! A travers une enfance bercée dans la musique, notamment avec vos parents amateurs de musique et d’art, vous avez débuté et découvert le monde de la scène avec la Maitrise de la Cathédrale de Dijon. Qu’avez-vous retenu de cette expérience ? A-t-elle nourri votre passion du chant ?

Elle a été déterminante ! Mon frère et moi avons passé beaucoup de temps dans cette école à horaires aménagés, dont le rythme a marqué notre enfance. Bien que rattaché à la cathédrale, le chœur était ouvert à tous, et le répertoire aussi bien sacré que profane. Lieu de partage, il a été le socle de mon développement musical et humain, même si j’y suis entrée sans grande conviction : à neuf ans, je trouvais la musique classique ringarde, et mes idées sur la religion tenaient plus de la poésie que de la foi. Mais j’aimais chanter… Quelques temps plus tard, mon père, quitte à « faire le taxi », nous a rejoints dans le chœur d’hommes : les activités maîtrisiennes sont donc devenues une affaire familiale. Cette période a forgé le lien hyper-émotif que j’ai encore avec la musique, particulièrement la musique sacrée. La Maîtrise m’a aussi donné le sens de la vie en groupe, et m’a inculqué une rigueur de travail que le temps n’a pas affaibli.

Avant de vous lancer professionnellement dans la musique, vous obtenez un Master à Sciences Po puis étudiez l’illustration à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, marquant une pause dans vos études musicales. Pourquoi avoir laissé la musique sous silence et quel déclic vous a fait revenir ?

Jusqu’à mes 24 ans, chanter était pour moi un loisir comme un autre. Je n’avais aucun bagage théorique, j’allais en répétition pour me détendre et voir mes amis ; comme mes parents n’étaient pas musiciens, ils m’encourageaient à faire des études « sérieuses ». Ainsi, je n’ai jamais considéré la possibilité de devenir musicienne professionnelle. Lors de mon entrée à SciencesPo, angoissée à l’idée d’être dépassée par la masse de travail, j’ai mis un terme à mes activités artistiques, qui m’ont cruellement manqué. En 3e année, je suis partie faire un échange d’un an aux USA, où j’ai suivi un enseignement 100% artistique (dessin, photo, cinéma…), après quoi j’ai viré de bord et j’ai intégré les « Arts Déco », en parallèle de mon Master. Diplôme en poche, j’ai timidement repris le chant au Conservatoire E. Satie (7e arr.), jusqu’au jour où, alors que mon cousin me parlait avec enchantement des progrès de sa fille en piano, j’ai été prise d’une immense tristesse. Je me suis isolée et j’ai repensé aux Lettres à un jeune poète de Rilke. « mourriez-vous s’il vous était défendu d’écrire ? […] demandez-vous à l’heure la plus silencieuse de votre nuit : « Suis-je vraiment contraint d’écrire ? » […] Si cette réponse est affirmative, si vous pouvez faire front à une aussi grave question par un fort et simple : « Je dois », alors construisez votre vie selon cette nécessité. » Ecrire, chanter, la question était la même. J’ai appelé ma professeure et je lui ai dit : « je dois ».

Vous êtes particulièrement attachée au répertoire baroque ainsi que du Moyen-Orient et de l’Anatolie. Qu’est-ce qui vous attire dans ce genre musical ?

Je m’intéresse à de nombreux genres musicaux mais la musique « ancienne » et la musique « orientale » sont celles qui, spontanément, m’émeuvent le plus. Je leur trouve d’ailleurs beaucoup de points communs, à la fois dans leurs sonorités, leur rapport à l’improvisation et au groupe… Au contraire des œuvres des XIX-XXe siècles, que j’ai appris à aimer plus tard et plus intellectuellement, j’ai avec la musique ancienne un rapport quasi-charnel parce que je l’entends chez moi depuis que je suis née. Mon lien avec les pays d’Orient est moins évident. Peut-être faut-il chercher dans la branche maternelle de ma famille, implantée en Algérie depuis le milieu du XVIIIe siècle ; ou bien dans l’entourage de mon père, regorgeant de voyageurs… Adolescente, j’étais fascinée par le Commandant Massoud. Je rêvais de partir dans les montagnes afghanes, à tel point que j’avais appris le persan ! Bref, j’ai toujours eu la tête ailleurs – et le cœur jamais bien loin. En grandissant, mes désirs de voyages se concrétisent : j’ai par exemple développé un lien particulier avec l’Arménie, où j’ai découvert un répertoire musical d’une incroyable richesse.

En octobre, vous êtes nommé lauréate de la 13ème édition du Concours International de Mélodies de Gordes. Quel souvenir gardez-vous de ce concours ?

C’était un de mes premiers concours et j’en garde un bon souvenir ! Le lieu est magnifique, l’accueil de grande qualité… En arrivant, j’étais épuisée et n’avais pas beaucoup d’espoir quant au résultat. J’avais misé sur un programme original, qui incluait une mélodie de Komitas, compositeur idolâtré en Arménie. A la fin du séjour, plusieurs membres du jury m’ont confié qu’ils avaient été bouleversés par cette pièce. Double cadeau : j’étais honorée d’être parvenue à toucher mon public dans le cadre d’un concours, qui plus est grâce à une musique que je défends avec toute mon âme…

Pour le concert ‘’Banquet de Mezzos’’, vous partagerez la scène avec la mezzo-soprano franco-américaine Maria Miller (également lauréate du Concours International de Mélodies de Gordes 2021). Comment avez-vous conçu ce programme 100% ‘’mezzo-soprano’’ ?

Comme c’est un concert de fin d’année, nous avons privilégié un répertoire festif et varié, majoritairement français, en concertation avec la pianiste Ayaka Niwano. Nous mêlerons des extraits d’opéra et des mélodies françaises, des pièces hispanisantes, du répertoire d’opérette et de comédies musicales. Pour ma part, j’ai souhaité aborder des genres différents, et mélanger des pièces que j’ai déjà beaucoup chantées avec des nouveautés. Les récitals sont autant d’occasions de prendre des risques, de tenter de nouvelles choses, et de se surprendre soi-même !

Pour finir, quels sont vos futurs projets ? Où pourrons-nous vous écouter chanter prochainement ?

Les projets ne manquent pas ! Je repars en Arménie à la fin du mois. Je reviendrai à Gordes à plusieurs reprises en 2022 (masterclass, concerts…). Je fais partie de quelques ensembles, notamment la Capella Reial de Jordi Savall, avec qui je chanterai à Salzburg en août. Il y aura aussi quelques récitals, notamment une carte blanche au Creusot, dans le cadre de la « Nuit des musées ». D’autres événements sont prévus pour l’été avec le chef d’orchestre C. Diederich. Enfin, j’aimerais trouver le temps d’écrire un spectacle que j’ai en tête depuis des mois, au sujet de l’Arménie…

 

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